Pour citer cet article : Renard Karine, « Repères historiques et chronologiques de la psychomotricité comme soin », Partie 2, site personnel internet de l’auteure, lescarnetsdesentiers.com, 19-02-2019, np.L
La psychologie du développement impacte fortement le devenir et la justification de la psychomotricité. La plupart des tests psychomoteurs encore utilisés aujourd’hui sont issus des travaux de la psychologie du développement, par exemple ceux de Gesell (théoricien de l’approche maturationniste du développement, (1880-1969), tels les tests d’imitation de gestes de Mira Stamback (1966) ou de Berges-Lezine (1963).
Henri Wallon (1879-1962) et Jean Piaget (1896-1980) seront les figures principales de cette période du vingtième siècle de la psychologie du développement. Lev Semenovitch Vygotski (1896-1934) et plus tard Jérôme Bruner (1915-) auront leur part contributive dans ce mouvement.
Henri Wallon
Henri Wallon est à cette époque une figure marquante de l’histoire de la psychomotricité. En 1925, il soutient une thèse de médecine intitulée « Les stades et les troubles du développement psychomoteur et mental chez l’enfant ». Il met en évidence les relations symptomatiques entre la motricité, l’intelligence et l’affectif chez l’enfant normal. Il s’investit fortement sur les cooccurrences entre motricité et caractère. En 1925, dans son ouvrage « L’enfant turbulent », il insiste sur le fait que « le mouvement est d’abord l’unique expression et le premier instrument du psychisme »[1]. Il réfute les liens directs entre mouvements et localisations cérébrales et il introduit la notion de fonctionnement en systèmes où toutes les réactions du sujet participent aux fonctions et au fonctionnement de celles-ci. L’attention qu’il porte au schéma corporel a particulièrement influé sur les pratiques psychomotrices. Il pense le schéma corporel « indispensable à la construction de la personnalité de l’enfant (…), résultat et condition du juste rapport entre l’individu et son milieu »[2]. Wallon accordera une grande place à la posture, à la fonction posturale et au tonus comme étant en liens ténus avec les émotions du sujet. Il pense que toute désorganisation est destinée à compenser des perturbations, l’organisme et la sphère affective cherchant à rééquilibrer les systèmes corporels troublés. Il s’intéresse également à la fonction d’expression et d’action sur autrui des émotions notamment les mimiques. L’équipe d’Henri Rousselle que nous évoquerons par la suite, dirigée par Julian de Ajuriaguerra sera elle aussi fortement influencée par les travaux d’Henri Wallon. Wallon accorde ainsi une structuration au métier émergeant en rapprochant pour « la première fois à la notion de psychomotricité, celle de développement (ou de stade), de trouble (ou de syndrome), de type »[3].
Des éducateurs comme Guilmain pré-cité, des psychologues comme René Zazzo et surtout Julian de Ajuriaguerra en seront les continuateurs.
Jean Piaget
Après 1960, les recherches du genevois auront un impact sans précédent sur la thérapie psychomotrice. Ajuriaguerra s’installant à Genève, il découvre les travaux de Piaget et les communique en France. Piaget travaille inlassablement sur les mécanismes de l’intelligence et plus précisément de l’acquisition des notions de volume, de mouvement, d’espace, etc. Il comprend que le mouvement est en premier le seul moyen d’expression du psychisme. Par les schèmes sensori-moteurs (succion, vision, préhension), se coordonnent les structures du mouvement, assurant ainsi leur « assimilation » (interne) et leur « accommodation » (externe). Là, il situe le départ du développement de l’intelligence. Piaget pense que le mouvement est psychisme. Il soutiendra également la thèse d’une pensée associée au langage (intelligence verbale) et d’une seconde non associée (intelligence non verbale).
Les psychomotriciens retiendront de Piaget l’idée nette que les mécanismes de structuration de l’intelligence opératoire se déroulent au même plan que les réactions circulaires du stade sensori-moteur entre zéro et deux ans. La circularité entre action et effet est comprise par Piaget comme des articulations effectives sur le plan de la construction intellectuelle (par exemple la coordination entre la vision et la préhension). Si des perturbateurs interviennent dans ces phases de développements (pathologiques ou sociaux), toute la structure risque d’être atteinte. S’ensuit l’idée de psychomotriciens devant s’attacher à reconstruire ou à consolider les liens et les manquements entre ces éléments pour favoriser l’accès à la fonction symbolique et à la conceptualisation.
Lev Vygotski
(1896-1934), en 1933, conforte par ses travaux l’influence de
l’environnement : « Derrière toutes les fonctions supérieures et ses
relations, il y a, génétiquement, des relations sociales, des véritables
relations entre personnes »[4]. Bruner
avance comparablement que la pensée de l’homme provient des interactions entre
les structures mentales et les interactions humaines.
Les travaux d’Hubert Montagner, à partir de 1970, sur l’observation de très jeunes
enfants en crèche actualisent les travaux de Wallon. Nous retiendrons sa
contribution précieuse sur la dimension affective des émotions, des postures et
des mimiques. Il les nomme « communication affective »[5].
[1] Wallon, Henri, L’enfant turbulent, Paris, Alcan, 1925.
[2] Wallon, Henri, « Importance du mouvement dans le développement psychologique de l’enfant », 1956, Le réel de l’enfant, 1959b, p. 263.
[3] Camus, op cit, p. 23.
[4] Vygotski, Lev, « Infancy » (1933), The Collected Works of Vygotsky, vol. 5, New York: Plenum, Press, 1998, p. 91.
[5] Montagner, Hubert, L’enfant et la communication, Comment gestes, attitudes, vocalisations deviennent des messages, Paris, Dunod, 2012.